Make-up artists & hair stylists : dans l’ombre de la lumière
Celles et ceux qu’on oublie On les croise partout. Leur matériel est souvent le premier à être déballé, le dernier à être rangé. Ils connaissent la peau, la lumière, les volumes. Et pourtant, trop souvent, ils n’apparaissent pas dans les crédits. Ou bien tout en bas, en petit.
BEAUTÉ
7/2/20253 min temps de lecture


Make-up artists & hair stylists : dans l’ombre de la lumière
Dans un secteur où le maquillage professionnel représente 42 milliards de dollars à l’échelle mondiale (2023), près de 60 % des MUA exercent en freelance. Idem pour les hair stylists, souvent appelés en renfort de projet, sans contrat formel ni validation créative.
Et pourtant, pour un défilé de haute couture, la prestation beauté (make-up + hair) peut coûter jusqu’à 100 000 $, selon la renommée de l’équipe. Leur geste est essentiel. Leur reconnaissance, trop souvent optionnelle.
Sur Instagram, 84 % des MUA utilisent leur feed comme portfolio. Mais cette visibilité numérique ne garantit ni la rémunération, ni la validation artistique, ni même l’assurance d’être nommé·e.
Hiérarchies tacites, frontières floues
Sur un shooting, la répartition du pouvoir est claire, mais rarement juste.
Le photographe décide. Le DA cadre. Le styliste pense le vestiaire. Le MUA et le coiffeur arrivent souvent en bout de chaîne, exécutants d’une vision qu’ils découvrent parfois en temps réel.
Et pourtant… ce sont eux qui donnent vie à la matière. Qui “font image”. Une bouche rouge déplacée, un sourcil gommé, un front brillant, et c’est toute une intention qui vacille. Leur geste est fragile, précis, décisif.
C’est justement parce qu’ils ont été si longtemps réduit·es à “appliquer” que certains décident de reprendre la main.
Des figures qui prennent la lumière
Aujourd’hui, une nouvelle génération de MUA et de Hair Stylists renverse les codes. Ils ne maquillent plus pour "embellir", mais pour dire. Pour revendiquer. Pour sculpter des identités mouvantes, affirmées, politiques.
Pat McGrath, première make-up artist nommée dame par la couronne britannique, est désormais directrice artistique beauté chez Louis Vuitton.
Isamaya Ffrench, maquilleuse londonienne, redéfinit le maquillage comme un art plastique mutant, étrange, souvent dérangeant.
Jawara Wauchope, hair stylist jamaïcain formé à Londres, signe les coiffures iconiques de Beyoncé, Solange des afro-sculptures devenues symboles de puissance noire.
Laetitia Ky, Ivoirienne, utilise ses propres cheveux pour créer des œuvres féministes sculpturales. Chaque tresse devient cri, satire, affirmation.
Côté réseaux, des artistes comme Nyma Tang dénoncent les discriminations de teinte via YouTube. D’autres comme Tina Outen ou Cyndia Harvey célèbrent les textures naturelles, les baby hair, les cheveux gris, les perruques géantes — pas comme camouflage, mais comme déclaration.
Quand le geste devient manifeste
✷ Révéler, pas corriger
Longtemps, maquillage et coiffure ont été perçus comme correctifs : effacer les cernes, dompter les boucles, dissimuler l’irrégularité. Aujourd’hui, une partie du métier choisit de révéler, plutôt que lisser.
Selon une étude américaine, 77 % des femmes noires estiment que l’industrie beauté ne prend toujours pas en compte leurs besoins en matière de cheveux.
Le retour en force des textures naturelles, des peaux nues, des cheveux argentés s’inscrit comme une réponse à la standardisation de la beauté.
✷ Geste performatif
Dans les milieux queer, drag, afrofuturistes ou alternatifs, maquillage et coiffure deviennent des rituels, des armes, des proclamations.
Un fard baveux, une tresse géométrique, un sourcil effacé, une perruque XXL… Ce n’est pas un “look”. C’est une parole.
Des artistes comme Laetitia Ky ou Sonya Clark (Hair Craft Project) montrent que les cheveux sont aussi langage, mémoire, territoire politique.
Entre matière et écran : la beauté augmentée
Et puis il y a le digital. Les filtres, les effets AR, les visages “augmentés”. Les MUA et hair stylists expérimentent désormais sur le visage comme sur une toile numérique.
83 % des marques beauté utilisent aujourd’hui les technologies IA/AR pour enrichir leur storytelling.
Des figures comme Ines Alpha créent des maquillages 3D exclusivement virtuels, mêlant effets spéciaux et fantasy.
Mais au fond, même en réalité augmentée, le geste reste celui d’un·e humain·e. Derrière chaque filtre, une main. Une vision.
Conclusion – Reprendre la main
Longtemps silencié·es, les make-up artists et coiffeur·ses reprennent aujourd’hui la parole. Pas forcément en interviews. Mais à travers leurs gestes. Leur audace. Leur refus du lisse.
Ce ne sont plus seulement les visages qu’ils transforment. C’est la façon même de penser l’image. Et c’est toute l’industrie qui, doucement, vacille.
Sources :
Verified Market Research (2023). Global Makeup Market Size & Forecast.
Gitnux (2023). Makeup Artist Industry Statistics & Trends.
Gitnux (2024). AI & AR Use in Beauty Industry Report.
Reddit AMA – r/ProjectRunway (2024). Fashion Production Budget Estimates.
Vogue, i-D, Numéro (2023). Comparative analysis of fashion credits.
The Cut (2023). Jawara’s Hair Architecture for Beyoncé & Solange.
TED Talk – Laetitia Ky (2021). Sculpting stories through hair.
YouTube – Nyma Tang channel. The Darkest Shade series.
Dazed Digital (2022). The New Hair Renaissance (Cyndia Harvey, Tina Outen).
Dazed Beauty (2024). Isamaya Ffrench and the Future of Face Design.
Femina.in (2023). #EscapeTheCorset and Korean beauty rebellion.
Tatler Asia (2024). Make-up as Political Activism and Cultural Reclamation.
Black Beauty & Hair Magazine (2023). 7 Avant-Garde MUAs That Push Boundaries.
WorldMetrics (2022). Beauty Inclusivity & Diversity Report.
Hair Craft Project – Sonya Clark. Exhibition Archive & Artist Statement.