La fin de la photo propre : pourquoi les nouvelles générations préfèrent le brut à la perfection ?

Pendant plus d’une décennie, la mode a glorifié les images nettes, lisses et impeccablement retouchées. Mais depuis trois ans, un basculement massif s’opère : les jeunes créateurs revendiquent l’imperfection, le grain, le flou et l’accident visuel. Analyse d’un mouvement esthétique devenu manifeste.

CULTURE

12/3/20253 min temps de lecture

Crédits : Renell Madrano

LA FIN DE LA PHOTO PROPRE

Comment la nouvelle génération délaisse la netteté comme valeur ultime de l’image ?

Pendant une décennie, la mode a célébré l’image parfaite : lisse, impeccable, calibrée. La retouche digitale a installé un standard où la peau devenait uniforme et la lumière entièrement maîtrisée.

Depuis trois ans, ce mouvement artistique vacille. Et sa chute n’a rien d’accidentel : elle est consciente, théorique, presque politique.

Le retour du brut : un rejet de la perfection artificielle

Cette montée de l’esthétique brute n’est pas une simple tendance visuelle : c’est un geste critique.
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Les images floues, cramées, sous-exposées ou granuleuses reviennent massivement dans la mode, comme un pied de nez aux codes premium.

Influences majeures :

  • Renell Medrano, pionnière du brut sensible

  • Davit Giorgadze, maître de la lumière directe

  • Thibaut Grevet, qui transforme l’erreur en style

  • Pierre-Ange Carlotti, flash clinique mais instinctif

Loin de l’amateurisme, ces choix forment un langage :

  • la photo n’a plus besoin d’être “propre” pour être crédible

  • elle doit être vraie, ou du moins émotive

Référence théorique

Les théoriciens de l’image parlent d’un retour à “l’accident contrôlé”, héritage du punk et du D.I.Y des années 70, réactivé dans la mode contemporaine.

L’omniprésence du numérique a tué la fascination pour la perfection

À mesure que la technologie s’est perfectionnée, sa perfection a perdu de son pouvoir. La haute résolution, autrefois réservée aux studios, est devenue un outil courant. Résultat : la netteté n’incarne plus le prestige, elle n’est plus qu’une esthétique parmi d’autres.

Selon l’étude Adobe Future of Creativity 2022, 72 % des 18–35 ans préfèrent une image “imparfaite mais expressive” à une image techniquement parfaite.

Même les grandes marques de luxe s’adaptent à ce changement :

  • Balenciaga : campagnes en flash frontal, utilisation de flash direct sur le sujet pour créer des contrastes bruts, des ombres marquées et un rendu spontané, loin de la lumière douce et parfaite des studios traditionnels.

  • Heaven by Marc Jacobs : grunge adolescent, esthétique inspirée du DIY et du streetwear, avec des images parfois floues, sous-exposées ou granuleuses, évoquant un univers rebelle et désinvolte.

  • Diesel et Marine Serre : esthétique low-tech assumée, choix volontaire de matériels simples ou vintage, textures crues et traitement minimaliste en post-production pour donner un rendu authentique et imparfait.

Le public ne recherche plus la perfection technique : il veut de l’intention, de l’émotion, et un style identifiable, qui raconte quelque chose au-delà de la simple image.

La post-production est devenue suspecte

Aujourd’hui, une retouche excessive peut être perçue comme une déformation du réel.

La retouche est perçue comme une censure de ce que la peau, la matière ou la lumière racontent naturellement.
Les équipes créatives reviennent à des textures authentiques, des brillances, des volumes et des accidents.

Les artistes qui montent actuellement comme, Fumi Nagasaka, Cho Gi-Seok, ou les travaux expérimentaux de Sølve Sundsbø, partagent tous un point commun : ils laissent l’image respirer.

L’image propre appartient à l’ancien monde, celui où le produit dictait la forme.
Aujourd’hui, c’est l’image qui dicte la valeur du produit, parfois même plus que le produit lui-même.

Conclusion : l’ère du brut

La fin de la photo propre n’est pas une régression.
C’est un rééquilibrage : un retour à la matière, au geste, au ressenti.

Ce qui émerge, c’est une esthétique vivante, rugueuse, presque-ratée, où l’erreur n’est plus un échec mais un vocabulaire.

Crédits : Renell Madrano

Crédits : Fumi Nagasaka