L' Art sous algorithme : l'IA change-t-elle vraiment la donne ?

L’IA redéfinit l’art : œuvres instantanées, images sans mains, récits sans vécu… Face à l’efficacité algorithmique, les artistes s’interrogent : l’outil libère-t-il ou uniformise-t-il ? Décryptage d’une mutation en cours.

CULTURE

7/2/20254 min temps de lecture

L’IA bouleverse la mode : quand l'imaginaire devient production

Paris, Milan, New York... et maintenant, Midjourney. Voilà la nouvelle cartographie de la mode. En quelques mois, une révolution silencieuse a infiltré les studios, les ateliers et les coulisses des grandes maisons. L’intelligence artificielle n’est plus une utopie futuriste : elle redessine la création textile, reconfigure les campagnes, et transforme les métiers. Une lame de fond qui mêle excitation, vertige... et parfois inquiétude.

Une collection en une nuit ? C’est déjà arrivé.

Imaginez : vous griffonnez trois mots,“fluidité”, “cosmique”, “soie”, et, en quelques secondes, une silhouette jaillit à l’écran. Pas de fusain, pas de patron, mais une création virtuelle prête à défiler dans l’imaginaire. C’est exactement ce que permet aujourd’hui Midjourney, ou encore DALL·E 3, développée par OpenAI.

Ces outils, déjà adoptés en coulisses chez Tommy Hilfiger ou Balmain, révolutionnent le processus créatif. Olivier Rousteing, directeur artistique de Balmain, confiait lors d’une table ronde à la Paris Fashion Week 2024 : « L’IA me permet d’explorer des formes que je n’aurais jamais osé proposer à mes modélistes. »

Selon une étude menée par McKinsey & Company, les marques qui intègrent des outils d’IA dans la phase de conception réduisent leur délai de prototypage de 60 %.

Des campagnes sans mannequins, mais pas sans impact

Levi’s a créé le buzz début 2023 en annonçant sa volonté de diversifier ses mannequins… à l’aide de l’intelligence artificielle. Derrière cette déclaration : la technologie de Lalaland.ai, capable de générer des avatars réalistes représentant toute la diversité des corps, des carnations, et des styles.

Dans les coulisses, l'équation est simple : un shooting IA, c’est jusqu’à 90 % d’économie sur le budget global d’une campagne, selon une enquête du Business of Fashion. Et une souplesse créative sans précédent. H&M a déjà réalisé des essais grandeur nature pour ses collections capsules, en intégrant des mannequins digitaux aux visages… qui n’existent pas.

Le photographe Nick Knight (fondateur de SHOWstudio), pionnier de l’image mode numérique, l’admet : « L’image de mode n’a jamais été aussi malléable. Mais attention à ne pas tuer l’émotion dans la perfection. »

Tourner sans caméra, monter sans pellicule

Vous avez peut-être vu cette vidéo virale d’un mannequin en tailleur néon traversant un Tokyo futuriste au ralenti. Aucun studio, aucun décor, aucune lumière naturelle. Tout a été généré avec Runway ML, un outil d’IA vidéo de nouvelle génération.

Des maisons comme Gucci ou Prada utilisent déjà ces technologies pour créer des séquences immersives, notamment pour le metaverse ou leurs campagnes sociales. Un directeur marketing de Kering (maison mère de Gucci) expliquait récemment dans Vogue Business : « Ce que nous mettions trois mois à produire, nous le faisons maintenant en une semaine, avec une liberté de narration totale. »

Photographes, stylistes, directeurs artistiques : quelle place demain ?

La question n’est plus “l’IA va-t-elle remplacer les artistes ?” mais bien “comment les artistes vont-ils se réinventer avec elle ?”

Le photographe allemand Tobias Gremmler, connu pour ses œuvres hybrides, utilise déjà l’IA comme une extension de son œil. Il parle de « co-création machinique ». En revanche, pour d'autres, l'automatisation galopante menace une chaîne de métiers essentiels. Moins de shootings veut dire moins de maquilleurs, moins d’assistants, moins de lumière humaine.

Un rapport de la Fédération Française du Prêt-à-Porter estime que 20 à 30 % des postes liés à la production d’image pourraient être redéfinis d’ici 2030.

Une beauté sans défauts… mais sans âme ?

La mode a toujours flirté avec l’inhumain, avec le surréel. Mais l’esthétique IA, polie, millimétrée, ultra-performante, interroge. Peut-elle encore faire vibrer ?

Une collection conçue par IA, c’est souvent une perfection glacée. Des visages sans porosité. Des décors qui frôlent le rêve mais oublient l’accident heureux, ce grain d’imperfection qui faisait jadis la force d’un cliché de Peter Lindbergh ou de Juergen Teller.

Certaines maisons tentent déjà de réguler cette tentation du tout-synthétique. Dries Van Noten, par exemple, a annoncé en avril 2025 qu’il continuerait à travailler exclusivement avec des artistes humains : « La main tremble, et c’est ce tremblement qui m’émeut. »

Une adoption massive en vue ? Tous les voyants au vert

Le marché mondial de l’IA appliquée à l’image de mode pourrait dépasser 10 milliards d’euros d’ici 2030, selon les prévisions de Allied Market Research. En parallèle, plus de 60 % des marques interrogées par Adobe en 2024déclaraient déjà utiliser l’IA dans au moins une étape de leur production visuelle.

Du jeune créateur digital natif au géant du luxe, tout le monde explore, expérimente, intègre. La révolution est en marche, irréversible.

Et maintenant ?

Reste cette question : l’intelligence artificielle enrichit-elle la créativité, ou la dilue-t-elle dans l’efficacité ? Une chose est sûre : elle impose un nouveau pacte entre l’homme et l’image. Et comme toujours en art, c’est dans cette tension que naissent les plus belles réinventions.

Sources : 

Technologies citées :

  • Midjourney & DALL·E (OpenAI) : génération d’images à partir de texte.

  • Runway ML & Synthesia : création de vidéos générées par IA.

  • Lalaland.ai : avatars de mannequins virtuels pour la mode.

Cas concrets dans la mode :

  • Levi’s : tests de mannequins IA avec Lalaland.ai (2023).

  • Tommy Hilfiger : prototypage de collections via IA.

  • Balmain : IA utilisée en phase de recherche créative.

  • Gucci / Prada : vidéos et campagnes immersives générées par IA.

Chiffres clés & rapports :

  • McKinsey (2023) : réduction de 60 % du temps de création avec IA.

  • Allied Market Research : marché IA image estimé à 10 Mds € d’ici 2030.

  • Adobe (2024) : 60 % des marques intègrent déjà l’IA dans leur production visuelle.